PREMIÈRE PARTIE : Comment les démasquer ?
Un jour dans un petit village, le curé de l’unique paroisse, qui habitait sur une colline, a vu venir par sa fenêtre l’ivrogne du village. Arrivant en titubant, un journal dans les mains, l’ivrogne posa une question au curé qui l’attendait de pieds fermes devant la porte de son presbytère : monsieur le curé, qu’est-ce qui cause de l’arthrite? Illico, le curé répond : s’enivrer tous les jours, ça cause de l’arthrite; dormir dehors, ça cause de l’arthrite; courir les femmes, ça cause de l’arthrite, manger n’importe quoi, ça cause de l’arthrite. Après cette litanie moralisante, l’ivrogne semblait abattu et s’apprêtait à rebrousser chemin lorsque le curé lui demanda pourquoi il posait cette question. Et lui de répondre, c’est parce que dans le journal que je viens de lire on déclare que le pape souffre de l’arthrite!
Dans cette histoire, le comportement spontané que le curé a eu à l’égard de l’ivrogne est induit par un biais inconscient. Les biais inconscients sont des raccourcis mentaux que nous prenons involontairement et qui nous permettent de faire des jugements rapides face à une panoplie d’informations, que nous ne pouvons pas consciemment analyser de façon efficiente.
Plusieurs recherches ont démontré que nous catégorisons instinctivement les personnes en utilisant des critères faciles à observer tels que l'âge, le poids, la couleur de la peau et le sexe. Mais nous classons également les personnes en fonction du niveau d'éducation, du handicap, de la sexualité, de l'accent, du statut social et du titre de l'emploi, attribuant automatiquement des traits présumés à toute personne que nous mettons inconsciemment dans ces groupes.
Nous pouvons saisir 40 informations par seconde tandis que notre inconscient peut en capter 11 millions. Alors face à une si grande quantité d’informations et une capacité limitée de les analyser individuellement, notre cerveau crée des raccourcis qui facilitent la prise de décision, ce qui est majoritairement entrepris par notre inconscient.
Ces biais cognitifs ne sont pas conscients mais vont induire en erreur notre perception, notre évaluation ou encore notre interprétation logique. Sans la capacité du cerveau à traiter inconsciemment des milliers d'informations en un instant, nos ancêtres n’auraient pas pu survivre. La même capacité nous permet maintenant de passer à travers la journée sans avoir à traiter lentement chaque décision que nous prenons.
L'avantage de ce système est qu'il permet d'économiser du temps et de l'effort à traiter beaucoup d’informations, ce qui permet de consacrer plus de ressources mentales à d'autres tâches. Le désavantage évident est que cela amène à faire des suppositions et à prendre des mesures en fonction de ces biais. Il en résulte une tendance à s'appuyer sur des stéréotypes, même si nous n'y croyons pas consciemment.
Les biais inconscients sont présents chez tous les êtres humains. C’est normal et ceux-ci ont été développés à travers le temps pour nous aider à survivre et à rapidement identifier le danger ainsi que les meilleures options.
Toutefois, ça peut nous jouer des tours car ce qui est considéré dangereux n’est pas toujours défini de façon objective au niveau de la société. Le danger est une construction sociale, donc ce qui peut être perçu comme dangereux est un reflet de la culture, des médias ou encore de la politique, par exemples.
Les milieux de travail sont propices aux biais inconscients. Parmi tous les biais qui existent, les trois suivants sont plus fréquents :
- Biais d’affinité : ce biais consiste à l’attraction naturelle vers les personnes qui nous ressemblent. Selon le contexte, cette ressemblance peut prendre la forme d’appartenance à la même culture que nous, parler la même langue, être de la même race, du même sexe ou de la même orientation sexuelle, mais surtout partager les mêmes opinions ou façons de penser. Sans s’en rendre compte, les biais d’affinité conduisent souvent au cloisonnement et à la création de silos dans le milieu de travail particulièrement.
- Biais de confirmation : ce biais fait référence à la tendance à rechercher, interpréter, se concentrer et se souvenir de l'information d'une manière qui confirme nos préjugés. Par exemple, je faisais partie d’un conseil d’administration où nos rencontres se tenaient le matin au centre-ville de Montréal. Habitant loin de là, je devais traverser un pont et beaucoup de trafic. Même si je m’organisais souvent pour être à l’heure et même avant l’heure convenue, lorsque j’avais le malheur d’arriver ne fut-ce que 5 ou 10 minutes en retard, les collègues faisaient des boutades sur mes origines africaines pour expliquer le fait que j’étais en retard. Alors qu’un autre collègue qui habitait proche arrivait souvent en retard, mais pour lui tout le monde trouvait cela compréhensible car il avait une jeune famille!
Les biais de confirmation sont ainsi très sournois car sans s’en rendre compte, lorsque nous prenons une décision ou formons une opinion sur quelque chose, nous avons tendance à rechercher des informations qui confirment nos croyances et négligeons les informations qui leur sont défavorables.
- Biais de genre : ce biais consiste à avoir des attentes ou à interpréter les comportements des collègues selon des stéréotypes bien arrêtés. Par exemple, un préjugé sexiste qu’on observe souvent dans les milieux de travail lorsqu’une femme s’affirme et a une personnalité autoritaire, est qu’elle peut être perçue comme «agressive». Alors qu'un homme ayant les mêmes attributs peut être décrit comme «confiant».
Malgré les discours de convenance et les lois qui encadrent de plus en plus nos relations sociales pour vivre en harmonie et de façon civilisée, notre inconscient a ses propres règles et se retrouve souvent en dualité avec ce qui est « raisonnable ». Les biais inconscients révèlent souvent nos vraies croyances. Pour les faire évoluer, la condition primordiale est d’abord de reconnaître que l’autre n’est qu’un déclencheur et non la source de mon problème. Comme disait une dame ivre à son mari au milieu d’une soirée bien arrosée : « chéri, il faudrait que t’arrêtes de boire : tu commences déjà à avoir l’air flou! ».
DEUXIÈME PARTIE : Comment les transformer ?
Une dame vivait toujours les rideaux fermés, parce qu’elle trouvait que ses voisins étaient sales! Elle était particulièrement gênée lorsqu’elle recevait la visite. Un beau jour d’été, sa sœur en visite chez elle voulait ouvrir les fenêtres pour aérer un peu la maison mais elle s’est butée à sa résistance. Toutefois, sa sœur est parvenue quand même à s’approcher de la fenêtre pour constater que ce sont ses vitres qui étaient marquées par la saleté causée par la poussière des différents travaux effectués au fil des ans car c’étaient les fenêtres d’origine et l’immeuble n’était pas très jeune. La sœur en visite s’exclama : ce sont tes vitres qui sont sales et non tes voisins!
Cette dame était prisonnière de ses croyances limitantes. Sous les valeurs de discrétion et de respect de son intimité, elle croyait que ses voisins étaient sales et elle était gênée de les approcher pour apprendre à connaître leur réalité.
Dans cet article nous proposons quatre approches simples pour transformer nos biais inconscients en opportunités.
- 1- Agir au niveau des croyances
On peut transformer un biais inconscient si on agit au niveau des croyances et non en essayant de changer les valeurs des personnes. Étant donné que les valeurs sont ancrées profondément chez les individus, elles peuvent être très difficiles à changer; la résistance au changement est plus grande. Les croyances quant à elles sont plus malléables et peuvent évoluer.
Comme dans l’histoire précédente, les biais inconscients se déconstruisent à force d’être exposé et en interaction avec des éléments qui viennent changer nos perceptions et notre vision de la réalité. Peu importe à quel point nous pensons être impartiaux, nous pouvons avoir des opinions négatives inconscientes sur des personnes qui sont en dehors de notre propre groupe d’appartenance. Plus nous interagissons avec des personnes différentes de nous, moins nous serons susceptibles de ressentir des préjugés envers eux. Ceci peut se faire en identifiant les points en commun que des personnes ont et en les mettant de l’avant.
Ces points en commun agissent comme ancrage entre des personnes différentes et leur permet de créer des traits d’union entre eux. C’est une fois que ces traits d’union seront acceptés et valorisés que les différences pourront plus facilement être comprises, acceptées et à leur tour valorisée.
Certes, la recherche a démontré que la diversité sociale d'un groupe peut causer de l'inconfort, des interactions plus difficiles, un manque de confiance, des conflits interpersonnels perçus plus importants, une moins bonne communication, moins de cohésion et plus d'inquiétude. Toutefois, la réalité est que si vous voulez construire des équipes ou des organisations capables d'innover, vous avez besoin de diversité. La diversité améliore la créativité. Elle encourage la recherche de nouvelles informations et perspectives, conduisant à une meilleure prise de décision et à une meilleure résolution de problèmes. Effectivement, face à une personne ou un groupe qui n’interprète pas la réalité avec un même référentiel de sens que nous, nous sommes obligés d’échanger plus longuement et relativiser notre point de vue pour parvenir à une entente.
Si l’importance d’avoir un environnement de travail inclusif est communiqué aux employés et compris par ceux-ci, leur participation aux efforts d’inclusivité et à la conversation sur les biais sera plus facile. Ils doivent d’abord réaliser comment cela aura des effets bénéfiques pour eux, pour leur environnement de travail, leur performance et les succès de l’entreprise.
- 2- Éviter de culpabiliser
Les employeurs peuvent s’assurer de créer un environnement sans culpabilité; un espace sécuritaire où on est libre de partager et s'exprimer sur cet enjeu. Ceci est nécessaire afin que les employés puissent se sentir à l’aise d’être honnêtes et vulnérables par rapport à leurs biais, ce qui mène à une introspection et des conversations franches, sans tabous.
L’objectif n’est pas de se sentir coupable pour nos biais implicites, puisque la culpabilité tend vers l'inaction. Il s'agit de prendre conscience d'eux, de les minimiser dans la mesure du possible, et de constamment vérifier que nous agissons sur la base d'une évaluation rationnelle de la situation plutôt que sur des stéréotypes et des préjugés.
Avoir des préjugés inconscients ne fait pas de nous de mauvaises personnes; cela fait partie de l'être humain. Nous avons tous été exposés à des milliers d'idées stéréotypées qui se sont incrustées dans nos esprits. C’est ce que les spécialistes tels que Hofstede appelle « une programmation mentale ». Un espace sécurisant permettra aux employés de se donner la chance d'être honnête et de s'observer, observer leurs biais et de s’ouvrir à la déprogrammation et à l’apprentissage du nouveau.
Le message que devrait recevoir les employés est celui-ci : le biais est normal, mais ce n'est pas acceptable. Vous devez changer, mais vous n'êtes pas une mauvaise personne.
- 3- Réduire le stress
La réduction du stress est également une avenue à explorer par les employeurs. Réduire le stress, la fatigue, la surcharge cognitive et les délais courts. Nous sommes tous plus susceptibles de revenir à des préjugés inconscients lorsque nous sommes stressés, fatigués ou soumis à des contraintes cognitives importantes ou à des contraintes de temps. Il s’agit là d’un mécanisme de défense que notre cerveau déclenche pour nous reposer de l’effort qu’exige l’état de conscient et d’éveil. Lorsque nous sommes détendus et que nous ralentissons la prise de décision, notre esprit conscient dirige plus facilement notre comportement par rapport à toutes les personnes et tous les groupes.
- 4- Se doter d’une vision et d’objectifs organisationnels clairs
Se doter d’une vision organisationnelle et des objectifs clairs par rapport à la diversité et des indicateurs pour mesurer l’atteinte de ces objectifs est aussi important. Un ensemble d’indicateurs réalistes qui permettent de mesurer la performance de l’entreprise est d’autant plus efficace. Ces indicateurs permettront à l’employeur d’évaluer chaque étape du processus d’implantation d’une culture inclusive. Des exemples d’indicateurs seraient le pourcentage de personnes issues de la minorité qui postulent un emploi, le pourcentage qui se voit offrir un emploi, le pourcentage qui accepte ces emplois et le pourcentage de personnes qui réussissent dans leur emploi après six mois. Avec ce type de mesure, l’employeur sera plus susceptible d'identifier à quelle étape du processus il y a des faiblesses et si les changements se font efficacement à l’échelle organisationnelle.
En guise de conclusion
Pour conclure, il convient de se rappeler que les biais inconscients font partie des outils d’instinct que la nature nous a doté pour nous protéger des dangers. Ce sont des attitudes et comportements réflexes qui ne peuvent s’ordonner qu’avec un entraînement constant de l’esprit à associer la différence apparente à l’opportunité et non à la menace. Je vous propose de débuter cet entraînement avec vos proches, surtout les personnes de votre entourage qui ont le talent de vous énerver et de vous contredire. Je vous invite à éviter de couper la corde qui vous lie aux autres, si vous pouvez défaire des nœuds de la discorde et des malentendus. Tout le monde en sort gagnant!
Pour en savoir plus et pour s’outiller à créer un environnement de travail plus inclusif, nous offrons des formations et de l’accompagnement individuel ou d’équipe.
Hubert Makwanda, président de Concilium Capital Humain