À 52 ans, j'ai perdu mon emploi et on me disait d’un air enjoué : «Ne t’en fais pas, tu vas trouver demain matin».

En situation de pénurie de main-d'œuvre, avons-nous conscience que l'âgisme reste un biais inconscient pour les entreprises qui recrutent?

À 52 ans, j'ai perdu mon emploi et on me disait d’un air enjoué : «Ne t’en fais pas, tu vas trouver demain matin».

J’ai perdu mon emploi cette année, au début de la cinquantaine, comptant derrière moi près de 30 années d’expérience dont 20 ans chez un même employeur. J’entends encore certaines personnes me dire d’un air enjoué suite à mon annonce: « Ne t’en fais pas, tu vas trouver demain matin, il y a plein de postes et nous sommes en pénurie de main-d’œuvre », et que dire des médias qui traitent de ce sujet d’actualité régulièrement. Loin d’être rassurée à cause de mon âge, j’ai tout de même décidé de rebondir après une pause et m’accrocher à cette réalité de pénurie de main-d’oeuvre en me disant que ma perte d’emploi arrivait au bon moment et que rapidement, je trouverais un poste dans lequel je pourrais m’accomplir professionnellement et en lien avec mes valeurs. Le contexte de la pandémie et les nombreux programmes de formation gouvernementaux disponibles pour les individus ayant perdu leur emploi s’y prêtant, je me suis dit: « Pourquoi ne pas regarder pour un autre rôle en allant chercher la formation avec toutes les compétences transférables que tu détiens? ». Après tout, j’ai de belles années professionnelles à offrir et autant faire en sorte qu’elles soient belles et riches d’expériences.

M’étant réorientée professionnellement par un retour aux études universitaires après près de 25 années, j’étais prête et ouverte à un nouveau défi. Une renaissance professionnelle, quoi. À ma grande déception, mes démarches auprès de mon centre local d’emploi pour de la formation vers un nouveau rôle ont été vaines car pour les personnes de mon âge, soit la cinquantaine, aucun programme de formation n’existe, m’a-t-on dit. J’ai donc décidé de regarder sur des sites d’emploi et postuler sur le peu d’offres correspondant à mes intérêts et aptitudes mais surtout avec les compétences que je détenais. J’ai rapidement eu un malaise à voir le nombre de compétences requises pour des postes dont j’étais apte à faire et un immense fossé s’est creusé sur ce que j’avais à cœur à accomplir et la réalité du marché actuel. J’ai pris connaissance de beaucoup d’offres, appliqué que sur certaines et je n’ai obtenu que peu de retour. Plus motivée que jamais, j’étais ouverte à de la formation en emploi avec une grande détermination et volonté d’apprendre de nouvelles choses. Ce que je craignais tant et ce qui m’était connu ces dernières années se sont répétés: très peu de retours d’employeurs ont eu lieu sur mes postulations. Et lorsque cela se produisait, je savais pertinemment très bien que le parcours de mon CV serait scruté à la loupe.

J’ai encore le souvenir d’une entrevue durant laquelle, d’un air perplexe, le jeune recruteur a regardé mon CV et m’a dit que mon parcours était dur à comprendre du fait que j’avais passé mes 20 premières années au sein de la même entreprise et par la suite, obtenu des postes de plus courtes durées parsemés de périodes d’inactivité et d’un retour aux études. Comment le jeune recruteur devant moi pouvait comprendre qu’il fut une époque où l'engagement profond et la loyauté étaient des valeurs reconnues en emploi? Comment pouvait-il comprendre que mes postes provenant de divers univers parsemés de trous blancs qui ont suivi mes 20 années en emploi n’ont pas été le reflet d’un manque de volonté à vouloir évoluer et rester au sein d’une entreprise, mais bien celui de la société actuelle où nous sommes contraints dans ma tranche d’âge à être sur des sièges éjectables, que ce soit par une intégration en formation défaillante ou d’aptitudes manquantes pouvant être palliées rapidement par de la formation en emploi? Mon CV est atypique, comme on dit. Malgré les jugements qu’on a posés parfois sur mon parcours et l’étonnement des recruteurs que je perçois lorsqu’ils me citent mes dates d’emploi afin de les valider, je sens bien que je ne suis plus au goût du jour et que le temps qu’il me reste à travailler rebute certains employeurs à m’embaucher. 

Pourtant, j’ai connu récemment les deux côtés de la médaille. Mon retour aux études, que j'ai décidé de faire dans la dernière année, s'est fait en ressources humaines. J'ai donc eu l'occasion de vivre l'expérience des processus de recrutement sous une autre perspective. Tant par ce que j’ai vécu en recherche d’emploi qu’en travaillant dans ce milieu, je conclue que les employeurs ne considèrent pas toujours qu’ils gagneraient tout autant à embaucher et investir en formation auprès des candidats dans ma tranche d'âge qui ont un vécu professionnel et qui souhaitent tout simplement se positionner et s’engager auprès d’un seul même employeur. En 2022, qui dit qu'une personne plus jeune restera plus longtemps en entreprise et que l’investissement est assuré sur la rétention de la main-d’œuvre? Comme Félix Leclerc l’a si bien dit: « La meilleure façon de tuer un homme, c’est de l’empêcher de travailler ». Tout comme moi, plusieurs connaissent les dommages causés par un manque d’ouverture de certains employeurs à nous embaucher, soit le rejet, la faible estime de soi et un sentiment d’inutilité. D’ailleurs, cette situation vécue est aussi celle vécue par d'autres personnes de mon entourage dans ma tranche d’âge. En lien avec le message criant de pénurie de main-d’œuvre, j’ai tout de même espoir que les pensées vont évoluer et que je trouverai ma place… ainsi que d’autres personnes de mon entourage qui vivent la même situation.


- Chantal